lundi 27 février 2006

Au Qui Perd Gagne

Au jeu du jeu je me perds, au jeu du je je perds, au jeu des mots je suis perdue.
Derrière les mots, le rire ?
Derrière les mots, la vie ?
Derrière les mots, la dérision ?
Derrière les mots, le rêve ?
Derrière les mots, l’illusion ?

Saurais-je faire autre chose que poser des questions ?

Au Qui perd gagne je perds.

vendredi 24 février 2006

Soi de jean et de laine

Décider de se faire plaisir.
Jean taille basse ajusté, juste ajusté. Serré aux hanches. Taille libre, taille souple.
Ne rien mettre dessous.
Sentir la toile tendue qui frotte doucement sur les fesses. Sentir la couture qui s’immisce et s'humidifie au gré des mouvements.
Pull court gris perle en mohair. Col V. Doux.
Ne rien mettre dessous non plus.
Sentir la caresse de la laine sur les seins dressés. Rencontre du tissage et de la chair. Au rythme des pas sentir ces mouvements lourds.
Zone frontière du pantalon et du pull. Couverte, découverte. Creuser des reins. Faire ressortir le galbe des fesses. Laisser apparaître une bande de chair, blanche.
Pourquoi ?
Pour rien, pour personne, pour soi, pour le plaisir.
Etre un soi. Etre bien.


mercredi 22 février 2006

Incontinent à la dérive

Des yeux, des yeux, des yeux. Grands, immenses, intenses. Un regard. Planté. Incrusté dans le mien.
Dans cette rencontre de deux regards, une communication implicite, un échange sans mots. Comme un fil tendu.
Entre elle et moi, des barreaux. La grille de métal qui sépare la salle d’activité de jour des incontinents de celle des continents.
Je suis du coté des continents, elle est du coté des incontinents avec sa couche, sa camisole blanche et son lien de tissu qui la rattache à la grille. Elle est blottie contre ces barreaux auxquels elle est attachée. Et nous nous regardons.

Je suis dans une institution pour filles handicapées mentales. Sept ans et plus. Un grand bâtiment propre. Rez-de-chaussée, un étage.
Des dortoirs, suites de lits aux draps immaculés. Des lits à barreaux pour les plus jeunes.
Des murs nus. Une image pieuse dans chaque pièce. Rien d’autre.
De grandes fenêtres qui font rentrer de la lumière en pagaille en cette journée grise.

Des femmes de tous âges qui vont et qui viennent dans les couloirs, désœuvrées.
Et puis des religieuses orthodoxes, tout en noir, qui glissent en silence d’une pièce à l’autre, ouvrent et ferment des portes.
Ici habitent quatre vingt douze filles qui, un jour, ont été catégorisées handicapées mentales profondes. Au milieu d’elles il y a aussi, aux hasards de la vie, au coin de la malchance, pour des raisons incertaines, deux femmes en fauteuil roulant. Des histoires qui ne se disent pas, quarante ans passés ici, comme ça.
Pas de télévision, pas de musique, le règlement de la communauté religieuse ne le permet pas. Pas de jouets non plus pour les enfants qui restent dans leur lit toute la journée. Assises à fixer le mur, la fenêtre, un point indéfini dans l’espace, en se balançant d’avant en arrière.
Image déjà vue, trop vue.

Mais cette pièce, cette pièce du fond. La Salle de jour. Comment la dire ? Comment la raconter ?
Une pièce réservée pour celles qui ne restent pas au lit. Pour celles qui dorment au rez-de-chaussée. Une pièce pour celles qui ont une autonomie de déplacement. Une pièce que l’on re-divise cependant entre celles qui vont aux toilettes et celles qui n’y vont pas.
Petite, plutôt sombre, vide.
Vide de tout meuble, vide de tout jouet, vide de tout instrument de musique, trois matelas pour s’asseoir et c’est tout.
Pièce de la folie. Pièce où entrent en collision ces individualités blessées, bafouées, non reconnues. Des balancements de toute part, des cris, des gestes stéréotypés, des doigts qui remuent devant les yeux comme des ailes de papillons. Ces petites musiques personnelles que chacune fait pour s’accompagner dans son isolement, tous ces signes, tant de fois déjà observés par ailleurs, connus, répertoriés, mais qui là, dans cette concentration, ce dénuement, sont une violence douloureuse.
Tout à coup se focaliser sur un détail. Toutes ces femmes portent des chaussons à la mode d’ici, tricotés en laine de couleur. Aucune n’a au pied une paire complète. Il y a à l’extérieur de la pièce une pile de ces chaussons par terre. Tous les jours on leur en met deux, au hasard.
Ne pas avoir de chaussons à soi.

M’asseoir sur un matelas, prendre une main qui se tend, dire mon nom, expliquer que je ne parle pas bien serbe, applaudir à une chanson, laisser une tête se poser sur mon épaule, calmer d’une pression de la main sur le bras l’excitation liée à la présence de personnes nouvelles.
Etre là. Seulement. Partager l’instant. Ne savoir rien pouvoir faire d’autre. Le faire vraiment. Honnêtement.

J’étais en visite avec un photographe. Il a fait des photos. Photos de ces regards, de ces corps, de ces mouvements, des gestes des infirmières, attentives.
Photo d’Ema tenant une photo d’elle-même. Photo de Lela dans son lit. Photo de Milica prenant la pose. Photo d’une autre, aveugle, chantant un cantique, la main en coquille près de l’oreille. Photo encore de cette jeune trisomique assise sur un matelas, tenant à la main un morceau de drap, entièrement centrée sur elle-même et son balancement, caressant son pied.
Photo, enfin, de ce regard qui est allé se planter dans l’objectif comme il s’était planté dans mes yeux, derrière les barreaux.

Et revenir à la réalité. Réintégrer ma maison. Se faire un thé. Se changer. Se vêtir de velours et de soie, se maquiller, se parfumer.
Envie de couleur, de beauté, par respect pour ces femmes qui ne pourront jamais faire ces gestes, qui n’auront jamais cette liberté, ce choix.

Demain, bientôt, je repars. Ouzbékistan. Autre pays, autre institution, autres vies. Aller se heurter à d’autres regards. Se savoir en vie.

samedi 18 février 2006

Haut Bas

Fragile.
Se sentir fragile, gracile.
Ne pas savoir revenir à la vie.
Où sont les codes ?
Il n’y en pas. Il n’y en a pas. Il n’y en a pas. PAS.
Alors se laisser porter
Laisser l’instant parler. Laisser l’instinct dire.
Mode OFF.
Attendre et laisser venir. Donner à voir, donner à comprendre. Attendre, heureuse de l’attente, riche des heures à venir.
Espérer non pas le bonheur, mais l’extase.
Espérer l’extase, comme on aspire à la quiétude dans une grande respiration, dans un craquement brutal des digues vermeilles. Chercher ce rouage, si intimement enfoui qui me retient aux berges de la bienséance. Savoir faire abdiquer en soi le bien pensant.
Sortir des rives pour mieux endiguer la colère de soi.
Vouloir tout à la fois être soi et être une autre. Vouloir être dans l’instant, pour une heure, une heure seulement.
Se sentir fragile.

lundi 13 février 2006

Saillie

Essence même de la femme. Cet instant où, toute entière j’appartiens à l’homme. Cet instant fragile, puissant qui me crée femme, qui le confirme homme.
Ce n’est plus séduction, ce n’est pas jeux encore, ce sont don et possession.
Le moment fugace de la saillie.
L’instant suspendu où l’homme me prend.
Femme amphore, réceptacle qui accueille pour mieux offrir, qui reçoit pour mieux prendre.
Homme.
Comment expliquer la jouissance infinie d’être ainsi possédée par un vit fort et déterminé ?
Le corps tout entier tendu dans l’attente de ce moment. 
Seins gonflés dressés, reins cambrés à la rencontre du sexe de l’homme. Ventre offert au regard. Lèvres gonflées, entrouvertes, presque gémissantes, humides. Lèvres frémissantes de cet instant à venir.
Poussée inéluctable. Pression qui force les parois. Vannes, écluses en moi. Signal attendu. Frottement des chairs, là, juste au-delà des lèvres exposées. Barrage forcé, canal étroit.
Il est un point précis en moi-même qui cède. Qui abdique. Qui consent, fort de cet abandon.
Vouloir son intimité accueillante, caresse de velours ferme autour de cette excroissance douce et palpitante.
La plénitude. L’envahissement.
La nature est.
Il est.
Je suis.
Etre.
Je.
Jouissance.

Ensuite, le dialogue des corps, un prêté pour un rendu, une autre histoire. A suivre.

13 février 2006