mercredi 14 janvier 2009

Chronique d'Albert

Albert bonjour. Nous voici toi et moi réunis.
Je veux venir ici narrer notre rencontre. Une chronique déroulée de nos routes croisées.
Samedi j'avais rendez-vous avec ta femme, Jeanne, aux archives de la ville de Paris. A la périphérie de la ville, bâtiment moderne de béton et de verre en retrait du boulevard Serrurier. J'aime bien cet espace qui serait un peu aussi en retrait de la vie, comme l'est notre rencontre.
Le samedi la salle de lecture est plutôt calme. Le boucan des machines à lire les microfilms qui s'emballent quand on accélère le rythme de rembobinage, le chuchotement des lecteurs qui discutent entre eux de leur trouvaille, le bruissement des feuilles qui sont déplacées.

Hier je voulais mieux connaitre Jeanne. Comprendre cette femme issue d'un milieu populaire, qui par un mariage à 28 ans a changé de rang social. Qui en paiera le prix toute sa vie. Et toi aussi. Et vos enfants aussi.
Jeanne la fille de Charles et de Marie, monteur de bronze et confectionneuse de la rue des Commines. Mariés jeunes, morts jeunes. Ils n'auront jamais connu son ascension sociale. Jeanne dont on dit que tu l'as rencontrée dans un magasin de chaussures où elle était vendeuse. L'acte de mariage indique pudiquement qu'elle était sans profession. Il donne aussi ton adresse dans le 7èm. Quelle distance infranchissable y avait il alors entre le 3ème et le 7ème ?
Toi l'ingénieur tout juste diplômé de l'école Centrale. Comment s'oppose-t-on ainsi à sa famille Albert ? Comment impose-t-on ainsi son choix. C'était ton désir, tu l'as mené au bout. Tu avais choisi Jeanne, son milieu populaire, ses parents morts, son grand-père, Joseph, tonnelier et l'autre, Grégoire, venu de Belgique. De mieux connaitre Jeanne je m'approche de toi, de la force de ton caractère, de ton indépendance dans une époque percluse de rangs sociaux et de conscience de classe.
Je continue Albert. Je reprendrais rendez-vous avec Jeanne, pour mieux voir ce joyaux, femme élue de toi qui a su te faire affirmer ton identité.

dimanche 11 janvier 2009

Revenir la tête basse

Revenir ici et être surprise de ce qui s'y trouve. Peut-être me faudrait-il toujours me relire avant de parler. Peut-être n'ai je plus assez écris de mots depuis trop longtemps. Et je me suis perdue dans mon silence, Poucette sans ses cailloux.

Son absence se fait manque en ma chair. Là, précisément là. A la racine du sein, sur mon flanc droit, en descendant sur la longueur de deux cotes. Un trou. Un arrachement. La peau comme décollée des muscles. Et derrière, du vide. C’est là que le manque se matérialise. Cette sensation physique d’une éraflure large sur le côté. Comme la peau brûlée, râpée, après une chute à vélo.
C'est bien un en-dedans qui n'est plus et non un en-dehors arraché. Il était en moi et il n'y est plus. Ou plus exactement nous avons décidé qu'il n'y serait plus. Est-ce nous ou moi ?
Il me reste cette cavité que j'ignorais, vide. Un vide dense, compact, un vide bloc. J'ignorais que ce fut là qu'il était. Il était ainsi en moi et je ne le savais pas. Comment peut-on à ce point ignorer ce que l'on est ? Comment peut-on ne pas sentir, voir, entendre, ressentir ce qui fait son intérieur ?
Je tâte cette part fantôme de moi. Ma main gauche vient toucher, cherche un dénivelé. Rien qui ne vienne confirmer ce ressenti. Et pourtant je me sens évidée.
Que puis-je être, un morceau de moi en moins ? Est ce que je deviens autre ? L'autre peut il devenir soi ? Ou bien c'est soi qui devient l'autre ? Ou encore est ce un autre qui surgit ?

Tellement de questions qu'il est sans doute bien tard de se poser. Ce sont ces mots passés, que je n'ai pas pris le temps d'attraper et de poser. Ce sont ces mots témoins de ces instants vivants. Moments furtifs ancrés dans le peau à peau. Sa peau, la mienne, nos émotions. De moments en moments, peau contre peau, il est entré en moi et je ne l’ai pas vu.
Et je lui ai fait mal.
Et finalement je me blesse aussi dans ce mouvement de moi à lui en moi.
Par le mystère de l’alchimie qui fut la notre étais-je aussi en lui ?

Que reste-t-il à construire ?