jeudi 12 octobre 2006

Nancy

Mince, ascétique, les cheveux retenus en arrière, bruns.
Les yeux bleu clair et profonds, intenses.
Assise souplement, derrière un petit bureau de bois recouvert d’un papier jaune d’or.
Échange de mots. Signature en noir sur la page.
- « Nord perdu. Mes amis expatriés. Tellement juste, tellement vrai. »
- « Annie Ernaux aussi, oui, je suis d’accord. »
- « Votre nom sonne comme celui d’une amie malade. Je pense à elle. Annie Leclerc. Féministe. Son travail d’écriture avec les prisonniers. »
- « Je fais des portraits de femmes. Des portraits de femmes qui interviennent en prison. J’interroge la position de la femme dans l’univers carcéral masculin. »
Dire merci avec les yeux. Sourire. Serrer un livre contre soi.
Repartir.

lundi 15 mai 2006

Question

Il y a quelque chose en moi, qui me fait femme.
Et ce sont ces rondeurs, et ce sont ces cycles de vie et de sang, et ce sont ces émotions qui montent sur mes joues. Cerise.
Mais c’est autre chose encore. Indéfinissable. Un souffle intermittent qui toujours revient. Un pinceau qui vient imprimer la toile par effleurement. Touches de couleurs qui se chevauchent.
Je suis femme. Je suis femme.
Fermer les yeux. Voir des chairs humides, rouges violacés. Des parois, des tubes, un peu brouillon. Des couleurs, des textures. Ne pas être capable de se faire une idée plus précise. Des bruits, étouffés sans doute. Chaleur. Au plus profond. Dans cet espace indéfini. Il est tellement difficile de se représenter l’intérieur. Ne pas pouvoir aller au-delà. Mais il y a là, quelque chose en moi qui me fait femme.

L’avoir ignorée jusque là. Parce que d’autres causes existaient, parce qu’il y avait plus important à faire que se souvenir que j’étais femme. Plus grave que cette palpitation entre cœur et seins.

Il y a ce vide. Espace sans limite, sans frontière. Ce quelque chose à combler. Cette aspiration vaste, désespérée. Une impulsion. Un battement.
Il y a les hanches. Syncrétisme. Contenant. Qui saillent, qui rythment.
Il y a cette humidité lapante, palpitante. Lèvres folles qui murmurent et crient.
Il y a.
Il y a cette absence à combler indéfiniment. Vide cruel et douloureux. Déchirure initiale qui ne saurait être réparée.
Comment puis-je être une ?
Saurais-je être femme ?

lundi 1 mai 2006

vendredi 28 avril 2006

Être en chaleur

Être en chaleur, se sentir animale, instinctive.
Cambrer les reins, onduler du bassin, sentir en soi, sur soi l’appel du sexe, le chant du corps qui crie pour être pris.

Je veux le contact d’un homme, je veux sentir en moi le désir exploser, mon corps perdre ses limites s’anéantir dans l’autre, je veux toutes ensembles ma jouissance et celle de l’homme. Je veux des caresses, un sexe dur, inquisiteur, tendre. Je veux la force de l’homme et son abandon.

Nue, nue, nue dans cette chambre d’hôtel.
Vivre cent fois en ma tête ce corps à corps et milles autres aussi.

Espérer l’homme comme on attend la fraîcheur du soir, comme on appelle la pluie de ses vœux dans ces journées d’orage.

Chercher à se perdre pour espérer se retrouver mieux. Envie d’être prise et de prendre en soi l’homme. Envie de sentir craquer en soi les limites de son corps, de les voir à tout jamais se désintégrer dans le désir de l’autre. Envie de sexe, de sexe et de sexe encore.

Envie de l’homme à l’orée de moi, gémissant du désir d’être en moi. Envie de l’homme au plus profond de moi, immobile et extatique. Envie de l’homme me remplissant jusqu’à la mort. Envie de l’homme force dévastatrice, faiblesse épuisée, vidé de sa substance, blotti au creux de mes seins.

Envie de mots sur ma peau pour étancher tous mes désirs, calmer ces angoisses sans noms.
Envie de mots sur ma peau pour faire chanter mon corps. Être toute entière bercée de mots, les voir s’inscrire à l’encre noire sur ma peau blanche comme une parure protectrice. Envie de jouir des mots, comme de milles caresses simultanées.

Baise moi, baise moi encore et encore. Murmure à mes oreilles les mots de ton désir, les mots de ton sexe contre le mien.

Baise moi.

mardi 18 avril 2006

Moi autre

Lourds, tendus, gonflés, pleins.
Vie indépendante, autonome.
Ils sont.
Ils sont moi.
Ils sont moi et pourtant ne m’appartiennent pas.
Animation soudaine que je ne peux que constater. Sentir en eux parfois battre une émotion que je n’avais pas vu venir, qui me surprend, me cueille à l’improviste. Ce battement d’aile interne qui les réveille. Surprise !

Ces appels qu’ils lancent parfois. Sémaphore à tout va. Sculpture qui s’incarne dans le tissu. Mouvement de mon corps en marche. Mouvement issu de leur logique propre. Cette danse magique et incantatoire qui tout à la fois berce et excite. Cette parcelle de ma peau où toutes les sensations se concentrent, pour disparaître, réapparaître. Cache-cache avec moi-même. Aimer ce jeu de balancement et tension. Réaction au vent, à la chaleur, à une image, une odeur, un son.

Ils m’ont apprivoisée.
Et je crois que je les aime bien.

mardi 4 avril 2006

Réminiscence

Larmes en perles au bord des yeux. Ces souvenirs qui montent et remontent. Ces mots qui évoquent des images, des bribes de conversations, des sensations.
On peut s’écrouler. On peut remonter. Se reconstruire. On apprend de ces failles là. On peut se désintégrer de douleur, d’incompréhension. On se désagrège et puis on remonte, maille à maille, point à point, une autre vie. Meilleure parce que différente.

On peut s’épuiser au travail. C’est possible. Ca arrive. Et on ne peut pas dire que ce n’est pas vrai. Et on ne peut pas dire que c’est de la responsabilité partagée d’une relation qui foirerait entre deux adultes consentants à travailler ensemble et qui auraient signés un contrat les mettant en position égale. L’égalité est construite. Elle n’est pas naturelle.

On ne peut pas le dire. On ne peut. Pas.
Ou alors on renie la douleur de ceux qui sont passés par ce chemin là. De ceux qui sont revenus doucement de ces abysses. De ceux qui en arpentent encore les sentes escarpées, et leurs perles au bord des yeux.

mercredi 22 mars 2006

I had a dream

J’ai rêvé. J’ai rêvé d’apprendre. J’ai rêvé de comprendre. J’ai rêvé de rencontrer. J’ai rêvé de partager mon corps, le corps d’un autre, ma peau et la sienne l’une contre l’autre. J’ai rêvé de voir, d’entendre, de sentir, de goûter. J’ai rêvé de musiques, de langues, de paysages, de villes, de senteurs, de puanteurs, de mets nouveaux. J’ai rêvé de partage. J’ai rêvé de passion. J’ai rêvé de douceur, de grandeur, de splendeur, de faste, de calme, de paix, de mouvements, de rythme. J’ai rêvé de patience, d’enfance, d’égalité des chances, de romance. J’ai rêvé de sexe, de regards, de frôlements, de bouches, de langues de mains. J’ai rêvé de comprendre, de repousser les limites du monde. J’ai rêvé d’un monde plus vrai, plus grand, plus beau. Plus juste aussi sans doute. Et j’ai toujours su qu’il ne le serait jamais vraiment mais qu’il était nécessaire de croire que ce serait possible. Et qu’il fallait faire le nécessaire, comme si.
J’ai rêvé de vivre une vie de rêve.

Je n’ai jamais rêvé d’un contrat à durée indéterminée. Jamais.

Et jamais je ne l’ai eu. Et toujours je l’ai refusé. Et toujours j’en ai été heureuse. Et aujourd’hui j’en suis heureuse. Soulagée. 


lundi 27 février 2006

Au Qui Perd Gagne

Au jeu du jeu je me perds, au jeu du je je perds, au jeu des mots je suis perdue.
Derrière les mots, le rire ?
Derrière les mots, la vie ?
Derrière les mots, la dérision ?
Derrière les mots, le rêve ?
Derrière les mots, l’illusion ?

Saurais-je faire autre chose que poser des questions ?

Au Qui perd gagne je perds.

vendredi 24 février 2006

Soi de jean et de laine

Décider de se faire plaisir.
Jean taille basse ajusté, juste ajusté. Serré aux hanches. Taille libre, taille souple.
Ne rien mettre dessous.
Sentir la toile tendue qui frotte doucement sur les fesses. Sentir la couture qui s’immisce et s'humidifie au gré des mouvements.
Pull court gris perle en mohair. Col V. Doux.
Ne rien mettre dessous non plus.
Sentir la caresse de la laine sur les seins dressés. Rencontre du tissage et de la chair. Au rythme des pas sentir ces mouvements lourds.
Zone frontière du pantalon et du pull. Couverte, découverte. Creuser des reins. Faire ressortir le galbe des fesses. Laisser apparaître une bande de chair, blanche.
Pourquoi ?
Pour rien, pour personne, pour soi, pour le plaisir.
Etre un soi. Etre bien.


mercredi 22 février 2006

Incontinent à la dérive

Des yeux, des yeux, des yeux. Grands, immenses, intenses. Un regard. Planté. Incrusté dans le mien.
Dans cette rencontre de deux regards, une communication implicite, un échange sans mots. Comme un fil tendu.
Entre elle et moi, des barreaux. La grille de métal qui sépare la salle d’activité de jour des incontinents de celle des continents.
Je suis du coté des continents, elle est du coté des incontinents avec sa couche, sa camisole blanche et son lien de tissu qui la rattache à la grille. Elle est blottie contre ces barreaux auxquels elle est attachée. Et nous nous regardons.

Je suis dans une institution pour filles handicapées mentales. Sept ans et plus. Un grand bâtiment propre. Rez-de-chaussée, un étage.
Des dortoirs, suites de lits aux draps immaculés. Des lits à barreaux pour les plus jeunes.
Des murs nus. Une image pieuse dans chaque pièce. Rien d’autre.
De grandes fenêtres qui font rentrer de la lumière en pagaille en cette journée grise.

Des femmes de tous âges qui vont et qui viennent dans les couloirs, désœuvrées.
Et puis des religieuses orthodoxes, tout en noir, qui glissent en silence d’une pièce à l’autre, ouvrent et ferment des portes.
Ici habitent quatre vingt douze filles qui, un jour, ont été catégorisées handicapées mentales profondes. Au milieu d’elles il y a aussi, aux hasards de la vie, au coin de la malchance, pour des raisons incertaines, deux femmes en fauteuil roulant. Des histoires qui ne se disent pas, quarante ans passés ici, comme ça.
Pas de télévision, pas de musique, le règlement de la communauté religieuse ne le permet pas. Pas de jouets non plus pour les enfants qui restent dans leur lit toute la journée. Assises à fixer le mur, la fenêtre, un point indéfini dans l’espace, en se balançant d’avant en arrière.
Image déjà vue, trop vue.

Mais cette pièce, cette pièce du fond. La Salle de jour. Comment la dire ? Comment la raconter ?
Une pièce réservée pour celles qui ne restent pas au lit. Pour celles qui dorment au rez-de-chaussée. Une pièce pour celles qui ont une autonomie de déplacement. Une pièce que l’on re-divise cependant entre celles qui vont aux toilettes et celles qui n’y vont pas.
Petite, plutôt sombre, vide.
Vide de tout meuble, vide de tout jouet, vide de tout instrument de musique, trois matelas pour s’asseoir et c’est tout.
Pièce de la folie. Pièce où entrent en collision ces individualités blessées, bafouées, non reconnues. Des balancements de toute part, des cris, des gestes stéréotypés, des doigts qui remuent devant les yeux comme des ailes de papillons. Ces petites musiques personnelles que chacune fait pour s’accompagner dans son isolement, tous ces signes, tant de fois déjà observés par ailleurs, connus, répertoriés, mais qui là, dans cette concentration, ce dénuement, sont une violence douloureuse.
Tout à coup se focaliser sur un détail. Toutes ces femmes portent des chaussons à la mode d’ici, tricotés en laine de couleur. Aucune n’a au pied une paire complète. Il y a à l’extérieur de la pièce une pile de ces chaussons par terre. Tous les jours on leur en met deux, au hasard.
Ne pas avoir de chaussons à soi.

M’asseoir sur un matelas, prendre une main qui se tend, dire mon nom, expliquer que je ne parle pas bien serbe, applaudir à une chanson, laisser une tête se poser sur mon épaule, calmer d’une pression de la main sur le bras l’excitation liée à la présence de personnes nouvelles.
Etre là. Seulement. Partager l’instant. Ne savoir rien pouvoir faire d’autre. Le faire vraiment. Honnêtement.

J’étais en visite avec un photographe. Il a fait des photos. Photos de ces regards, de ces corps, de ces mouvements, des gestes des infirmières, attentives.
Photo d’Ema tenant une photo d’elle-même. Photo de Lela dans son lit. Photo de Milica prenant la pose. Photo d’une autre, aveugle, chantant un cantique, la main en coquille près de l’oreille. Photo encore de cette jeune trisomique assise sur un matelas, tenant à la main un morceau de drap, entièrement centrée sur elle-même et son balancement, caressant son pied.
Photo, enfin, de ce regard qui est allé se planter dans l’objectif comme il s’était planté dans mes yeux, derrière les barreaux.

Et revenir à la réalité. Réintégrer ma maison. Se faire un thé. Se changer. Se vêtir de velours et de soie, se maquiller, se parfumer.
Envie de couleur, de beauté, par respect pour ces femmes qui ne pourront jamais faire ces gestes, qui n’auront jamais cette liberté, ce choix.

Demain, bientôt, je repars. Ouzbékistan. Autre pays, autre institution, autres vies. Aller se heurter à d’autres regards. Se savoir en vie.

samedi 18 février 2006

Haut Bas

Fragile.
Se sentir fragile, gracile.
Ne pas savoir revenir à la vie.
Où sont les codes ?
Il n’y en pas. Il n’y en a pas. Il n’y en a pas. PAS.
Alors se laisser porter
Laisser l’instant parler. Laisser l’instinct dire.
Mode OFF.
Attendre et laisser venir. Donner à voir, donner à comprendre. Attendre, heureuse de l’attente, riche des heures à venir.
Espérer non pas le bonheur, mais l’extase.
Espérer l’extase, comme on aspire à la quiétude dans une grande respiration, dans un craquement brutal des digues vermeilles. Chercher ce rouage, si intimement enfoui qui me retient aux berges de la bienséance. Savoir faire abdiquer en soi le bien pensant.
Sortir des rives pour mieux endiguer la colère de soi.
Vouloir tout à la fois être soi et être une autre. Vouloir être dans l’instant, pour une heure, une heure seulement.
Se sentir fragile.

lundi 13 février 2006

Saillie

Essence même de la femme. Cet instant où, toute entière j’appartiens à l’homme. Cet instant fragile, puissant qui me crée femme, qui le confirme homme.
Ce n’est plus séduction, ce n’est pas jeux encore, ce sont don et possession.
Le moment fugace de la saillie.
L’instant suspendu où l’homme me prend.
Femme amphore, réceptacle qui accueille pour mieux offrir, qui reçoit pour mieux prendre.
Homme.
Comment expliquer la jouissance infinie d’être ainsi possédée par un vit fort et déterminé ?
Le corps tout entier tendu dans l’attente de ce moment. 
Seins gonflés dressés, reins cambrés à la rencontre du sexe de l’homme. Ventre offert au regard. Lèvres gonflées, entrouvertes, presque gémissantes, humides. Lèvres frémissantes de cet instant à venir.
Poussée inéluctable. Pression qui force les parois. Vannes, écluses en moi. Signal attendu. Frottement des chairs, là, juste au-delà des lèvres exposées. Barrage forcé, canal étroit.
Il est un point précis en moi-même qui cède. Qui abdique. Qui consent, fort de cet abandon.
Vouloir son intimité accueillante, caresse de velours ferme autour de cette excroissance douce et palpitante.
La plénitude. L’envahissement.
La nature est.
Il est.
Je suis.
Etre.
Je.
Jouissance.

Ensuite, le dialogue des corps, un prêté pour un rendu, une autre histoire. A suivre.

13 février 2006

dimanche 8 janvier 2006

Mots

Les mots comme des caresses comme autant de parures, des mots vêtements, bijoux, accessoires.
Mes mots, tes mots, jeux.

Sentir les mots me caresser, me parer. Sentir les mots m’embellir me rendre forte. Sentir le pouvoir lénifiant des mots, leur énergie rédemptrice. Être sous la caresse des mots, et tout autre, et moi même, pleinement.

Nue dans le lit, sous la chaleur de la couette en ce matin d’hiver, un à un entendre tes mots revenir et m’en faire une parure, un vêtement.
Mots caresse mots tendresse, mots force mots puissance.

Puissance évocatrice des mots. Être là, tes mots en moi, tes mots autour de moi, sentir les mots comme autant de trésors, mot perle à porter en pendentif, mot perle roulant entre mes seins.
Tes mots comme un étai à ce que je suis. Été des mots, hiver du silence.
Ces mots, souffle chaud qui me réconfortent.
Langage.

Appeler tes mots de mes vœux, appeler tes mots comme autant de protection contre ma peine, contre ma douleur, contre le mal que je peux me faire. Tes mots, le souvenir de leur sonorité lue sur le papier, qui au matin viennent me réveiller, me sortir des heures plombées de la nuit.

Tes mots qui m’habillent, me parent, qui m’enveloppent tels une deuxième peau. Ces mots qui me donnent envie d’aller admirer dans le miroir cette perle en pendentif sur la peau blanche. Mot perle, à porter en pendentif, mots tuniques, mots voiles.

N’en plus pouvoir de mes mots, faciles et répétitifs, mécanismes usés du langage, maîtrise facile de ficelles élimées.

Mots frais à ma peau, sonorités douces à mes oreilles, mots aux saveurs riches dans ma bouche, mots aux couleurs inattendues. Tes mots contre les miens. Tes mots en renfort des miens trop vieux, trop fatigués. Tes mots comme autant de sources de jouvence pour mon parler essoufflé.

Alors venir avec cette demande simpliste, parle moi de toi.
Souhaiter que tu me parles tout court, souhaiter que tu me dises, me communiques souhaiter que tu m’adresses du sens et du non sens. Sémaphore vivant, j’attends le signal retour de mon signal affaibli.