samedi 27 octobre 2007

Chat grain

Tout doucement, il y a quelque chose qui pleure en dedans. Pas un bébé. Un petit garçon, accroupi, blotti contre la paroi de mon poumon gauche. Le visage dans les mains. Un chagrin long, lent. Un chagrin de larmes et de gémissements, comme une longue plainte. Un enfant seul. Un enfant caché. Et je le vois et je le sens. Et il m'éloigne de la vie.

Il est laissé au bord. On le tient dans le silence, sans réponse et il pleure comme il respire. Peut être parce que cette douleur là est ce qui le tient en vie, en corps. Encore l'envie.

lundi 15 octobre 2007

Femme de papier femme de chair

Sur le tableau au mur il y a une reproduction d'Alex Colville. Une femme en maillot de bain noir allongée sur le pont d'un bateau les pieds posés à plat sur les planches, les jambes repliés et, en arrière plan, un homme qui marche dans l'eau pour ramasser ses filets.
Je tourne la tête pour regarder cette femme. Nous sommes dans la même position, elle et moi.
Je suis là, allongée sur le dos. Les jambes dans les étriers.
Il y a ce mouvement en moi, cette vague profonde, une crispation interne. Je ne sais plus ce qui est le dedans de ce qui est le dehors. Cette part de moi qu'elle touche, ce point de chair est-il interne ? Où est la limite ? Quelle est ma limite ? Elle gratte, elle frotte, elle nettoie, elle coupe, elle racle. Je me crispe, je respire, mes mains volent autour de ma tête, s'arrêtent dans leur élan sous l'effet de la douleur, les larmes coulent, rondes chaudes, je cherche une main à saisir, un regard à crocheter, quelque chose à attraper pour partager la peur irrationnelle des curettes, pinces et ciseaux , la souffrance, le froid du spéculum et l'effroi du diagnostic.
Et c'est elle que je trouve, calme, impassible, presque froide.

dimanche 14 octobre 2007

Sésame sauvage

Soirée imprévue. Retrouver celle croisée sur les bords du canal Saint Martin. Elle avait alors sa caméra et un charriot à roulette pour transporter ses affaires. Elle était emmitouflée dans son gros manteau. Elle parlait un français étrange, avec un accent, les mots bousculés dans un ordre incertain. Dans ses yeux se lisait la peur de ces émotions rudes, rêches qui entraient en collusion. Dans sa posture, son corps tendu vers l'avant, se lisait la nécessité d'être là, de se coltiner à cette réalité triste et porteuse d'espoir. Elle portait avec elle le deuil de son mari et l'énergie qui l'a poussée à quitter la Corée, il y a des années.

Et puis ce soir être là, au milieu des cartons de son déménagement proche, dans cet appartement caché du centre de Paris, qu'elle doit laisser parce que l'Autre est mort et que ses enfants ne l'ont jamais aimée. Assise à sa table l'écouter égrener les histoires étranges de ces derniers mois. La regarder se mouvoir dans sa cuisine entre le frigo et la planche à découper et narrer au fil de sa préparation du repas ces instants fragiles qui depuis un an là hantent. Ces moments de doutes et de remises en question sur la nécessité de son travail, la manière dont son quotidien a été marqué, comme une dérivation de ses habitudes, par ses heures au bord du canal.

Ce soir c'est tempura. Les légumes colorés, saveurs complémentaires, champignons, oignons, patates douces, cèleri, crevette, carottes, courgettes jaunes, disposés dans le plat. L'huile d'arachide qui frémit dans le wok noir. La dorade au four. Les kakis murs et juteux offerts au bouddha, partagés à la fin du repas. Et le gout délicat des feuilles de sésame sauvage.

lundi 8 octobre 2007

Temps morts

Les longues lames fines du plancher. Bois clair, presque blanc, ciré. Les murs rouges, peinture fanée. Le plafond haut, moulures noircies. A droite la fenêtre grande, haute, qui laisse entrer la lumière. Une table petite, basse, trois planches de bois jointes, claires et foncée. Le soleil rasant qui ravive les couleurs. Les réchauffe. Et cette tasse de café, solide, simple. Un carré de chocolat noir posé à côté sur son papier d'argent.
Assise sur mes genoux devant cette table sur ce plancher, attendre. Attendre que le soleil tourne que la lumière change, que le moment soit opportun. Laisser passer doucement l'après midi d'automne, le fil de ma vie, celle des autres aussi. Attendre et ressentir sur ma peau, dans mon corps, le temps qui passe, le vide, la vie.

mercredi 3 octobre 2007

Toute en mots

Je suis habitée de mots. Habillée aussi.
Je suis mots. Sans mots je ne suis qu'un corps vide, une machine qui mange et qui chie, inspiration expiration.
Les mots me donnent la vie. Ils m'humanisent. Les mots me donnent chair, ils me font femme, ils me font seins et vagin. Ils me font désir et peur, ils me font envie, effroi, faiblesse et force.
Mes mots, tes mots, nos mots, vos mots, Vos mots.
Et pour chaque mot, le silence qui le suit, la respiration, le blanc, le vide. Et pour chaque mot la jouissance du mot à venir attente suspendue.