dimanche 16 décembre 2007

Femmes

Jambes marrons, jambes grises, jambes roses. Jupe en velours chocolat brodée de turquoise, jupe mini, mini, à carreaux beige et canard, jupe en laine de couleurs vives à grosses rayures. Nos jambes qui croisent et qui décroisent, nos mains qui s'envolent au rythme des mots, les accents qui se croisent et se tissent.
La langue française tellement précise chez ces femmes de l'Est. La langue française si poétique chez ces femmes lettrées, érudites. Mes amies battantes. Des femmes têtes hautes, des femmes de l'avant. Non pas des femmes de carrières, ongles et becs, non pas de ces concurrentes imbéciles des luttes mesquines des hommes pour le pouvoir ou la gloire, mais de ces batailles quotidiennes pour une vie digne et respectée. Mes amies qui vont, suivant les sinuosités de leurs vies, indépendantes du jugement des autres. Mes amies si belles. Mes amies si amies.
Nous avons mangé zurek, savourant tout ensemble, le plaisir de se retrouver, la saveur aigre de la farine fermentée, la richesse de la saucisse, la douceur de l'entre nous.
Et en leur ventre, à l'une et à l'autre, la vie qui va, doucement, fortement, chaude et secrète.

Et moi. Moi, heureuse d'être à leurs côtés en cette après-midi ensoleillée.

samedi 1 décembre 2007

En recherche

un mot. Une trace. Ici venir battre doucement en mon rythme intérieur. Porter en moi toutes ces histoires, ces corps à corps, ces confrontations tendres et fortes. Essayer, par touches de les approcher, mais toujours les sentir se dérober.

Décrire le moment, le geste, la vibration de l'air, la tessiture de la lumière. Capter les accords et les brisures. Dépasser la pudeur en collant au souvenir vif et chaud de l'instant.

Je reviendrai, je prendrai ce temps là, je chercherai ces mots là, pour les extirper et exposer à la lumière ces moments soyeux.

samedi 27 octobre 2007

Chat grain

Tout doucement, il y a quelque chose qui pleure en dedans. Pas un bébé. Un petit garçon, accroupi, blotti contre la paroi de mon poumon gauche. Le visage dans les mains. Un chagrin long, lent. Un chagrin de larmes et de gémissements, comme une longue plainte. Un enfant seul. Un enfant caché. Et je le vois et je le sens. Et il m'éloigne de la vie.

Il est laissé au bord. On le tient dans le silence, sans réponse et il pleure comme il respire. Peut être parce que cette douleur là est ce qui le tient en vie, en corps. Encore l'envie.

lundi 15 octobre 2007

Femme de papier femme de chair

Sur le tableau au mur il y a une reproduction d'Alex Colville. Une femme en maillot de bain noir allongée sur le pont d'un bateau les pieds posés à plat sur les planches, les jambes repliés et, en arrière plan, un homme qui marche dans l'eau pour ramasser ses filets.
Je tourne la tête pour regarder cette femme. Nous sommes dans la même position, elle et moi.
Je suis là, allongée sur le dos. Les jambes dans les étriers.
Il y a ce mouvement en moi, cette vague profonde, une crispation interne. Je ne sais plus ce qui est le dedans de ce qui est le dehors. Cette part de moi qu'elle touche, ce point de chair est-il interne ? Où est la limite ? Quelle est ma limite ? Elle gratte, elle frotte, elle nettoie, elle coupe, elle racle. Je me crispe, je respire, mes mains volent autour de ma tête, s'arrêtent dans leur élan sous l'effet de la douleur, les larmes coulent, rondes chaudes, je cherche une main à saisir, un regard à crocheter, quelque chose à attraper pour partager la peur irrationnelle des curettes, pinces et ciseaux , la souffrance, le froid du spéculum et l'effroi du diagnostic.
Et c'est elle que je trouve, calme, impassible, presque froide.

dimanche 14 octobre 2007

Sésame sauvage

Soirée imprévue. Retrouver celle croisée sur les bords du canal Saint Martin. Elle avait alors sa caméra et un charriot à roulette pour transporter ses affaires. Elle était emmitouflée dans son gros manteau. Elle parlait un français étrange, avec un accent, les mots bousculés dans un ordre incertain. Dans ses yeux se lisait la peur de ces émotions rudes, rêches qui entraient en collusion. Dans sa posture, son corps tendu vers l'avant, se lisait la nécessité d'être là, de se coltiner à cette réalité triste et porteuse d'espoir. Elle portait avec elle le deuil de son mari et l'énergie qui l'a poussée à quitter la Corée, il y a des années.

Et puis ce soir être là, au milieu des cartons de son déménagement proche, dans cet appartement caché du centre de Paris, qu'elle doit laisser parce que l'Autre est mort et que ses enfants ne l'ont jamais aimée. Assise à sa table l'écouter égrener les histoires étranges de ces derniers mois. La regarder se mouvoir dans sa cuisine entre le frigo et la planche à découper et narrer au fil de sa préparation du repas ces instants fragiles qui depuis un an là hantent. Ces moments de doutes et de remises en question sur la nécessité de son travail, la manière dont son quotidien a été marqué, comme une dérivation de ses habitudes, par ses heures au bord du canal.

Ce soir c'est tempura. Les légumes colorés, saveurs complémentaires, champignons, oignons, patates douces, cèleri, crevette, carottes, courgettes jaunes, disposés dans le plat. L'huile d'arachide qui frémit dans le wok noir. La dorade au four. Les kakis murs et juteux offerts au bouddha, partagés à la fin du repas. Et le gout délicat des feuilles de sésame sauvage.

lundi 8 octobre 2007

Temps morts

Les longues lames fines du plancher. Bois clair, presque blanc, ciré. Les murs rouges, peinture fanée. Le plafond haut, moulures noircies. A droite la fenêtre grande, haute, qui laisse entrer la lumière. Une table petite, basse, trois planches de bois jointes, claires et foncée. Le soleil rasant qui ravive les couleurs. Les réchauffe. Et cette tasse de café, solide, simple. Un carré de chocolat noir posé à côté sur son papier d'argent.
Assise sur mes genoux devant cette table sur ce plancher, attendre. Attendre que le soleil tourne que la lumière change, que le moment soit opportun. Laisser passer doucement l'après midi d'automne, le fil de ma vie, celle des autres aussi. Attendre et ressentir sur ma peau, dans mon corps, le temps qui passe, le vide, la vie.

mercredi 3 octobre 2007

Toute en mots

Je suis habitée de mots. Habillée aussi.
Je suis mots. Sans mots je ne suis qu'un corps vide, une machine qui mange et qui chie, inspiration expiration.
Les mots me donnent la vie. Ils m'humanisent. Les mots me donnent chair, ils me font femme, ils me font seins et vagin. Ils me font désir et peur, ils me font envie, effroi, faiblesse et force.
Mes mots, tes mots, nos mots, vos mots, Vos mots.
Et pour chaque mot, le silence qui le suit, la respiration, le blanc, le vide. Et pour chaque mot la jouissance du mot à venir attente suspendue.

mardi 18 septembre 2007

D'un vide à l'autre

Il fallait reprendre ici ce qui était perdu ailleurs.
Il y a en moi, secret et caché, cet espace. Il reste vide et silencieux parfois. Parfois il bruit, il fourmille.
Je suis construite autour de ce creux là ; il me fait femme, sensible et sensée.
Alors je reviens poser mes mots et leurs silences.

Je reste fidèle à ces deux là que j'ai choisi pour voix. Anaïs, Ella, continuons, nous n'avons pas encore épuisé notre histoire.

samedi 21 avril 2007

Questions de propriété

Il est des corps fermes, muscles et peau. Seins menus dardant, ventre plat, dur, jambes fuselées, dynamiques, regard vif. Des femmes au corps dressés, érigés, des femmes de l’extérieur.
Je suis de l’intérieur. Je suis une femme de l’intérieur. Toute en muqueuses, tuyaux, viscères, humeurs. Des contours flous. Un corps absent à lui-même.
La peau qui respire l’extérieur, l’aspire en dedans. Entrailles qui absorbent, buvard. Dans des replis internes se nichent des espaces infinis, des régions inexplorées que je découvre à tâtons, des rages inassouvies, des peurs sans causes, des haines sans objets, des amours pluriels, des tendresses multidirectionnelles. Des émotions enfouies, tellement vivantes. Ma peau ne fait pas barrage. Cet intérieur est impacté. Directement.
Masse douloureuse en bas à droite. Comme un coeur de pierre qui irradie des ondes par vagues.

A qui appartient mon corps ? A qui ? A qui ?

jeudi 15 mars 2007

Rendez vous manqué

Parfois on rate un rendez-vous. Dans un acte manqué on l’oublie. Ou bien on se perd et on ne trouve pas le lieu de rencontre. Ou bien on arrive en retard et l’autre, les autres, lassés sont partis. Et puis parfois on se souvient, on attend impatiente, on trouve le lieu, les autres sont là, et on rate quand même le rendez-vous.
Parce que l’on n’est pas soi. Parce que l’on est ailleurs, que le corps se raidit et les mots se taillent la malle. Et l’on est alors le témoin de la rencontre des autres. Sensasiomètre branché. Voir, humer, percevoir, ressentir, les émotions qui passent, les flux d’informations qui s’échangent. Langage verbal et non verbal. Regards appuyés, pression de la main, trait d’humour ou conversation enfiévrée.
Etre absente à soi même, comme abstraite.
Vous étiez beaux.